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L'air du large, là dehors

10 avril 2010

11

Qui nourrira encore ceux que berce et désire
La scansion profonde du grand large ?
Si nous n’y pourvoyons nous-mêmes
Il n’y aura plus de foison ardente.
Les herbes séchées seront des plumes tombées de l’aile,
Etendards déchirés, inutiles à tous les Icare.
Seuls les mots que nous saurons dire
Feront lever le vent, feront gonfler l’orage
D’où pleuvront les gouttes presque grasses
Qu’espèrent nos lèvres ensablées.

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9 avril 2010

10

Un bréviaire
Dans la tempête bleue des rivages escamotés
Réciter les litanies de l'orage
Entonner le psaume de l'horizon affaibli
Annoncé par l'antienne de la houle
Qui vacillait
Dans les refrains du gouffre jaune et gris
Mais va plus vaste désormais
Plus pleine
Comme le ventre d'une mère
Mais plus vide aussi,
Plus libre
Heureuse du vent sur le sein des femmes
Comme la voile si fluide que gonfle le désir

9 avril 2010

9

Ulysse essayait désespérément de rentrer chez lui.
Mais le vrai problème est plutôt: comment partir de chez soi?
Abraham, lui, partait pour la terre promise.
N'aller nulle part, pourtant, est autrement difficile…

Les ailleurs nous charment, patrie perdue ou promise. Mais c'est dans ce charme que l'ailleurs de notre ici se dérobe toujours – et qu'à la fois pourtant il se donne à notre désir…

8 avril 2010

8

«Le commerce l'environne de sa haute écume» (Moby Dick)

Cette activité grandiose et dérisoire déployée par les hommes pour faire voyager le fruit de leur travail, ou déplacer les matériaux qui satisferont leurs besoins – son arène est le port de commerce.
Monde de démesure, où ce que les hommes ont construit n'est plus à leur échelle; où les hommes sont petits, insignifiants, au milieu des coques, des machines, des poutres de fer, des câbles – tout cela qui broierait le moindre d'entre nous comme de rien. C'est la puissance des hommes, mais c'est une puissance sombre: l'eau est sale, huileuse, partout la rouille, le cambouis, la poussière, les chocs du métal, les grincements, la fumée des moteurs. Le vrai visage de cette part de l'activité des hommes dans le monde se dit là, et pas dans la délicate petite poupée que renferme, peut-être, un de ces containers venus de loin, empilés en monuments impressionnants; un jouet qui fera le bonheur d'une petite fille en rose, et souriante, et la satisfaction de son père. Le clinquant des vitrines et des publicités n'est qu'une écume de pacotille, l'illusion d'un bonheur fugitif et plein d'angoisse, un bonheur de l'impuissance.

Là, les hommes sont écrasés sous la masse de leur travail – et pourtant ils rient aussi, on les entend… S'il y a de la puissance dans ce port de marchandises, dans ces grues monstrueuses qui chargent un camion d'une seule prise, cette puissance noire n'est à personne. Vide, anonyme. Sérieuse, affairée; triste. Elle ne comporte un peu de joie que là où un homme, insignifiant dans ce décor, marche, siffle, se gratte, s'allume une cigarette, pense à celle qu'il a laissée ce matin après lui avoir fait l'amour, et qu'il retrouvera le soir, pour lui faire encore l'amour, plaisante avec un collègue, ou s'engueule avec un autre, commente les matches du week-end, se réjouit de revoir bientôt son fils, qui étudie dans une ville trop loin, ou de marier sa fille, même si c'est avec ce vaurien qu'on ne comprend pas ce qu'elle peut bien lui trouver.

Rien de sauvage dans la force anonyme de ces machines, de ces amoncellements de marchandises. Seulement de la brutalité, accumulée, qui toujours menace la vie qui s'y glisse comme une trace électrique et allume tout à coup un désir imprévisible dans un regard ou dans un geste. Mais sans cette vie, qui n'est rien à la mesure du fer et du fuel, tout cela ne serait rien…

26 mars 2010

7

S'installer au cœur tremblant de «soi-même». Là où justement il n'y a peut-être plus de «soi-même», mais une étendue sauvage qui invite à l'aventure de la vie. S'installer en nomade. Ou en vagabond.
Cela peut-il se faire à deux? Ce «vide» peut-il être partagé? La fidélité «à soi» s'accommode-t-elle de la fidélité à l'autre? Ces questions sont peut-être mal posées. Il n'y a pas «quelque chose» (fût-ce le vide!) à partager, mais un chemin à tracer. Il n'y a pas de «moi» à qui être fidèle, aucune identité à préserver, mais comme un flux à laisser couler dans le vaste dehors où se résout l'«intériorité».

Résoudre la nébuleuse illusoirement une de «notre être» en multiplicité d'étoiles qui dansent. Vivre le flux et la contradiction, les éprouver presque dans sa chair.
Ne pas renoncer à la splendeur du vagabond. Trouver le moyen d'un engagement, s'il y en a, qui soit un engagement vagabond.

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25 mars 2010

6

L'illusion la plus dangereuse, la plus séduisante, la plus inévitable peut-être, c'est de croire qu'on peut échapper à sa solitude dans l'amour. L'amour est un partage: deux être seuls qui partagent leur solitude. L'un offre l'asile de la sienne à l'autre, et l'autre accueille la solitude offerte, exposée, risquée, et en prend soin comme d'une chose précieuse et fragile. Et surtout n'essaie pas d'en délivrer celui ou celle qui la lui montre.
L'amour est ainsi une chance donnée à ce qu'il y a de plus secret, de plus tremblant, mais aussi de plus sauvage, en nous. Il est la préservation toujours renouvelée de cela, qui est si délicat qu'un rien peut l'obscurcir, et qui fait si peur aussi que le désir de ne pas le voir l'emporte souvent. Mais qui nous sourit avec tant de lumière quand on le reconnaît dans le regard de l'autre, quand on le calme dans une caresse lente, comme on apaise un petit animal effrayé qu'on prend dans sa main.
Les caresses et les baisers déploient un horizon, et tracent des sentiers incertains où peu à peu c'est tout ce qu'il y a de sauvage dans cette solitude – ce qui prend alors le nom de désir – qui va venir s'étirer. Comme le vent ouvre dans le ciel un chemin à la lumière qui vient alors briller sur les pulsations de la mer.

24 mars 2010

5

–Regarde!
– Quoi?
– Le large!
– Mais il n'y a rien?
– C'est ça qui est beau. C'est ça que j'aime.

24 mars 2010

4

Le vent était tombé. Ça n'arrivait pas souvent.
Ces derniers jours, les réponses qu'il portait (mais à quelles questions? qui posait encore des questions?) n'avaient été que les cendres, encore brûlantes, de l'incendie qui maintenant peu à peu s'éteignait. Auparavant, c'était la plupart du temps un vent de sable, chargé des poussières du désert. Et, parfois, d'un morceau d'étoffe, ou de quelque déchet qu'on ne pouvait identifier, traces incertaines abandonnées, pensait-on, par les gens des dunes. On ne s'en étonnait pas. Les réponses du vent n'avaient pas de questions.
Quand il soufflait de l'autre côté, par contre, on s'offusquait. On étouffait dans l'air humide des marécages. C'était le vent du large, mais l'iode et le sel s'étaient perdus dans les bourbiers, et l'air, ces jours-là, était lourd de la puanteur douceâtre des décompositions stagnantes.
Mais aujourd'hui, le vent était tombé.

23 mars 2010

3

S'exposer à la fragilité qui tremble en chacun de nous. Contre l'assurance arrogante de l'intellectuel qui a de toute façon tout compris. Mais aussi contre l'assurance imbécile de celui (ça peut être le même…) qui croit avoir compris qu'il n'y avait rien à comprendre. C'est vrai qu'il n'y a rien à comprendre – mais cela, nous ne pouvons pas le comprendre. Parce que cela, quand ça nous touche, nous emporte dans le dehors, en nous, qui nous retourne. Et le dehors ne peut pas être compris: ce qui est compris est par là même dedans, enfermé. Il n'y a donc littéralement rien à comprendre. Même pas cela. Celui qui croit l'avoir compris verrouille le plus sûrement en lui l'espace de ce vide qui irradie la vie.
Il y a évidemment quelques raisons d'en désespérer: la force des conventions qui nous encadrent, et que nous comprenons si bien (ou plutôt, ce sont elles qui nous comprennent), est si puissante. Ce n'est toutefois pas exactement une question de liberté. Ou alors, «liberté» ne désigne rien d'autre que le tremblement sauvage en nous, qui nous exige et nous livre à l'instable. Et s'il n'y a pas la possibilité de répondre à cet appel, la possibilité d'une fidélité même minimale à ce qui toujours devient en nous – alors à quoi bon? Alors en effet il vaudrait mieux s'abrutir à l'aide des puissants narcotiques que nous offre notre «civilisation». Et devenir des imbéciles – c'est-à-dire renoncer à devenir.

23 mars 2010

2

Ne plus rester sans écrire.
Si ce qui tremble en moi, et peut-être, parfois, brille, en tout cas aspire à se déployer, libre – si cela ne peut pas passer dans une forme de création, ça finira par me rendre malade. La fragilité inemployée (mais le mot est laid) s'use et m'use de l'intérieur. Quelque chose, toujours, appelle au large. Et exige que je hisse une voile. Parce que le bateau souffre, inerte, ballotté par les vagues…

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