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L'air du large, là dehors
8 avril 2010

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«Le commerce l'environne de sa haute écume» (Moby Dick)

Cette activité grandiose et dérisoire déployée par les hommes pour faire voyager le fruit de leur travail, ou déplacer les matériaux qui satisferont leurs besoins – son arène est le port de commerce.
Monde de démesure, où ce que les hommes ont construit n'est plus à leur échelle; où les hommes sont petits, insignifiants, au milieu des coques, des machines, des poutres de fer, des câbles – tout cela qui broierait le moindre d'entre nous comme de rien. C'est la puissance des hommes, mais c'est une puissance sombre: l'eau est sale, huileuse, partout la rouille, le cambouis, la poussière, les chocs du métal, les grincements, la fumée des moteurs. Le vrai visage de cette part de l'activité des hommes dans le monde se dit là, et pas dans la délicate petite poupée que renferme, peut-être, un de ces containers venus de loin, empilés en monuments impressionnants; un jouet qui fera le bonheur d'une petite fille en rose, et souriante, et la satisfaction de son père. Le clinquant des vitrines et des publicités n'est qu'une écume de pacotille, l'illusion d'un bonheur fugitif et plein d'angoisse, un bonheur de l'impuissance.

Là, les hommes sont écrasés sous la masse de leur travail – et pourtant ils rient aussi, on les entend… S'il y a de la puissance dans ce port de marchandises, dans ces grues monstrueuses qui chargent un camion d'une seule prise, cette puissance noire n'est à personne. Vide, anonyme. Sérieuse, affairée; triste. Elle ne comporte un peu de joie que là où un homme, insignifiant dans ce décor, marche, siffle, se gratte, s'allume une cigarette, pense à celle qu'il a laissée ce matin après lui avoir fait l'amour, et qu'il retrouvera le soir, pour lui faire encore l'amour, plaisante avec un collègue, ou s'engueule avec un autre, commente les matches du week-end, se réjouit de revoir bientôt son fils, qui étudie dans une ville trop loin, ou de marier sa fille, même si c'est avec ce vaurien qu'on ne comprend pas ce qu'elle peut bien lui trouver.

Rien de sauvage dans la force anonyme de ces machines, de ces amoncellements de marchandises. Seulement de la brutalité, accumulée, qui toujours menace la vie qui s'y glisse comme une trace électrique et allume tout à coup un désir imprévisible dans un regard ou dans un geste. Mais sans cette vie, qui n'est rien à la mesure du fer et du fuel, tout cela ne serait rien…

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